Abstract
The Torso of Ramesses, the Foot of Merenptah, and the Nose of Amenhotep: Observations on Some Royal Statues in the Turin Collections (Cat. 1381, 1382, and 3148)
Far from being only an exercise in anecdotic attribution, studying statue fragments can throw light on the whole corpus of a king or a period, as well as on the decoration program of a site and the dialogue between a sculpture and its architectural surroundings. The article places special emphasis on the theme of reuse, also commonly called “usurpation”. The implications of this practice are still largely obscure, but the intentional modification of features clearly demonstrates the importance that the ancient Egyptians assigned to style, an interest that twenty-first-century Egyptologists should continue to manifest.
Participer à la rénovation du musée des antiquités égyptiennes de Turin et à la nouvelle présentation des œuvres m’a fourni le privilège, de 2014 à 2017, de côtoyer quotidiennement la riche collection statuaire qui y est conservée. L’importance et la qualité des pièces, de même que la documentation complète qui souvent les accompagne, font de cet ensemble un des répertoires majeurs pour l’étude de la sculpture égyptienne – particulièrement en ce qui concerne le Nouvel Empire – et plusieurs générations de chercheurs pourront se succéder avant d’épuiser les informations qu’elle recèle. Ces quelques pages me donnent l’occasion de partager une série d’observations sur une sélection de statues royales du Nouvel Empire provenant de Thèbes, pièces qui ont particulièrement attiré mon attention en raison des traces de manipulation et de modification qu’elles portent1 . L’intention de cet article est avant tout d’attirer l’attention des égyptologues sur trois pièces méconnues de la collection turinoise, ce qui est un des buts de ce nouveau périodique scientifique, mais aussi de formuler certaines demandes et de proposer des
Ces trois pièces seront présentées dans l’ordre chronologique de leur production. Le lecteur s’intéressera tout d’abord à un colosse en position de prière portant le cartouche de Ramsès II, mais que l’on proposera d’attribuer à Amenhotep II (Cat. 1381), puis se penchera sur le pied d’une statue porte-enseigne au nom de Mérenptah, probablement réutilisation d’une statue de Thoutmosis IV (Cat. 1382) ; enfin, nous finirons par une brève note sur un nez massif en granit, fragment d’un colosse que son style permet d’attribuer à Amenhotep III (Cat. 3148).
Le torse de Ramsès
Cat. 1381, statue d’un roi en position d’adoration au nom de Ramsès II, originellement effigie d’Amenhotep II (?)
Cette statue inscrite au nom de Ramsès II (Fig. 1) montre le souverain debout, les bras tendus devant lui, vêtu d’un pagne empesé sur la partie frontale afin de former un tablier triangulaire. La position du roi, attestée en statuaire à partir de Sésostris III, pétrifie l’action de vénération2 . Derrière la jambe gauche du roi est sculptée en bas-relief une figure de reine anonyme, coiffée de la couronne hathorique et levant une main dans un geste d’affectueuse protection vers le mollet de son époux.
Plusieurs inscriptions sont gravées sur la statue.
Sur le pilier dorsal :
« Le roi de Haute et Basse-Égypte, seigneur des Deux Terres, Ousermaâtrê-Setepenrê, le fils de Rê, qui enfante les dieux, maître des apparitions, Rams[ès …] »
Sur le côté gauche du pilier dorsal :
« La grande épouse royale […] »
Sur le boucle de ceinture :
« Ramsès Méryamon »
Sur le devanteau du pagne :
« Le roi de Haute et Basse-Égypte, seigneur des Deux Terres, Ousermaâtrê-Setepenrê, le fils de Rê, maître des apparitions, Ramsès Méryamon »
À droite, entre les jambes :
« Le roi de Haute et Basse-Égypte… »
Différents éléments permettent de déceler des traces de transformation de cette statue. Tout d’abord, le cartouche du souverain sur la boucle de ceinture a manifestement été gravé sur une zone préalablement grattée, qui est restée plus rugueuse que la surface qui l’entoure. Par ailleurs, la sculpture des yeux a été clairement été laissée à un état inachevé, conférant à leur surface un aspect « sfumato », peut-être trace d’une modification hâtive de sa surface (Fig. 2).
Ce même traitement de la surface des yeux est visible sur d’autres statues « usurpées », « réemployées » ou « réutilisées » – selon le terme auquel on préfère avoir recours – par Ramsès II : par exemple le colosse
À la hauteur des tempes, devant l’oreille, un éclairage rasant permet de révéler les languettes sous le bandeau de la coiffe, seulement partiellement effacées. Les plis partant des narines et des commissures des lèvres, particulièrement prononcés, presque caricaturaux, sont également caractéristiques des statues usurpées par Ramsès II, afin de diminuer la largeur de la bouche et de lui conférer le petit sourire figé du souverain de la XIXe dynastie.
Enfin, le large S dessiné par la queue de l’uraeus, au-dessus du capuchon du cobra, de même que le triangle presque équilatéral du tablier ne correspondent pas aux conventions stylistiques de l’époque ramesside, ainsi que nous le verrons plus loin, mais rapprochent la statue soit de la fin du Moyen Empire, soit de la première moitié du Nouvel Empire (Fig. 5-6).
Cette statue a fait l’objet de plusieurs mentions, surtout dans des catalogues ou guides du musée de Turin, dont seule une partie est reprise dans la bibliographie ci-dessus. C’est Jacques Vandier qui, le premier, propose d’y voir une statue usurpée de la XIIIe dynastie, en la rapprochant des « sphinx du Delta » Louvre A 21, Le Caire JE 37478 et Boston MFA 88.747, « modelés avec vigueur et témoignant d’une certaine
Si, dans certains cas, Ramsès II ou Mérenptah se sont contentés de faire ajouter leur nom sur des statues sans en modifier les traits 7, ces exemples restent marginaux au sein du répertoire conservé et la majeure partie des statues usurpées attestent, au contraire, une modification souvent profonde de l’apparence d’une statue, afin d’en « ramessiser » la physionomie. Bien que les raisons de la coexistence de différents degrés d’usurpation (soit changement à la fois de l’inscription et de la physionomie, soit seulement de l’inscription, soit encore ajout d’une titulature sans effacer l’inscription originelle) ne soient guère aisée à expliquer, il est indéniable que les souverains ramessides ont largement eu recours au réemploi de statues, généralement de dimensions colossales, de leurs prédécesseurs du Moyen Empire et de la XVIIIe dynastie en les transformant pour les actualiser8 . C’est vraisemblablement le cas de la statue de Turin : l’identification du souverain originellement
Thoutmosis III et Amenhotep II sont justement attestés dans le temple d’Amon à Karnak par plusieurs exemplaires de statues debout en position de prière, également en granit et d’un format proche (cinq à six coudées de haut, cf. tableau ci-dessous). Il est tentant de rapprocher de ces colosses celui de Turin. Comme l’observent Claude Vandersleyen et Hourig Sourouzian10 , celui du British Museum EA 61 a visiblement été également réemployé par Ramsès II, probablement d’une statue d’Amenhotep II (mais, dans ce cas, sans en modifier la physionomie) ; cette statue semble avoir fait partie de la même série.
Souverain
Statue
Provenance
Matériau
Hauteur originelle estimée
Hatshepsout
Le Caire JE 52458
Deir el-Bahari
Granit
250 cm
Hatshepsout
New York MMA 28.3.18
Deir el-Bahari
Granit
242 cm
Thoutmosis III
Le Caire CG 594
Karnak, Akhmenou
Granit
270-280 cm
Thoutmosis III
Karnak MPA. T3 st. 1
Karnak, Akhmenou
Granit
270-280 cm
Thoutmosis III
Le Caire CG 633
Karnak (Akhmenou ?)
Granit
230 cm
Thoutmosis III/ Amenhotep II
Londres BM EA 61
Karnak (sans précision)
Granit
320-340 cm
?
Turin Cat. 1381
Karnak (sans précision)
Granit
250-270 cm
Amenhotep II
Le Caire CG 42074
Karnak, face nord du VIIe pylône
Granit
180 cm
Amenhotep II
Le Caire TR 3/6/24/2
Karnak, cachette (?)
Granit
220 cm
Amenhotep II
Karnak, face nord du VIIe pylône
Karnak, face nord du VIIe pylône
Granit
311 cm
La statue de Turin a été recueillie à Thèbes par Vitaliano Donati en 1759. Son contexte précis est inconnu, mais ce type de statue était placé par paires de part et d’autre de passages scandant les processions : à Karnak, on retrouve Amenhotep II contre la face nord du VIIe pylône, Thoutmosis III dans l’Akhmenou ; les deux colosses d’Hatshepsout devaient flanquer un passage de son temple à Deir el-Bahari11 , imitant peut-être les six statues de Sésostris III, installées quelques siècles plus tôt dans le temple voisin (mais retrouvées hors contexte, projetées depuis la terrasse dans la dépression qui sépare le temple de la falaise)12 . Si aucune des statues en position de prière provenant de Karnak ne correspond exactement aux dimensions de la statue turinoise, son « jumeau » est peut-être à identifier au musée de Munich (Fig. 8).
En effet, la tête en granit portant le numéro d’inventaire ÄS 590013 montre à la fois des mesures très similaires et une physionomie singulièrement proche. Le visage rond aux joues pleines a été clairement retouché aux mêmes endroits : les plis trop accentués partant des ailes du nez et des commissures du nez donnent naissance au même petit sourire aux lèvres retroussées.
Dans le cas de la tête de Munich, la modification de la sculpture a été poussée à un degré plus avancé. En effet, la queue de l’uræus montre le double anneau de part et d’autre de son cou gonflé, suivant la « mode » ramesside ; le peu d’épaisseur suggère que ce relief ait été créé par simple abaissement de la surface originelle au-dessus du front. Sur la statue de Turin, en revanche, la queue de l’uræus forme encore la courbe en S sur le sommet du crâne, témoin de la première phase d’utilisation de la statue
Turin Cat. 1381 | Munich ÄS 5900 | |
---|---|---|
Hauteur du visage (du menton au bandeau frontal) | 22 cm | 23 cm |
Largeur du visage (sans les oreilles) | 25 cm | 25 cm |
Largeur de la bouche | 7 cm | 6 cm |
Hauteur de uræus | 11 cm | 12 cm |
Hauteur de aile du némès | 28 cm | 30 cm |
Les deux statues sont probablement à rapprocher d’Amenhotep II, plutôt que de Thoutmosis III, en raison de la largeur du visage et, pour le colosse turinois, à cause de sa musculature ferme et de ses épaules particulièrement développées15 (Fig. 9).
La statue de Turin (peut-être avec un jumeau auquel pourrait appartenir
Cette série de statues, homogène dans sa conception formelle, soulève certaines questions au sujet de la pratique de l’usurpation. Il reste en effet à comprendre pourquoi, au sein d’un ensemble cohérent, certaines pièces sont restées intactes et ont conservé leur inscription originelle (les statues retrouvées contre la face sud du VIIe pylône et dans l’Akhmenou), tandis que d’autres (les statues du British Museum, de Turin et peut-être celle de Munich, si elle vient effectivement de Karnak) ont été usurpées par Ramsès II, elles-mêmes d’ailleurs selon différents degrés : la statue londonienne n’a subi de modification que dans son inscription, alors que le visage de celles de Turin et de Munich a été transformé pour adopter la physionomie ramesside, opération restée inachevée dans le cas du colosse turinois. Les réutilisations d’anciennes statues par Ramsès II
Les deux Thoutmosis III/Amenhotep II réemployés du British Museum et du Museo Egizio sont dépourvus de contexte archéologique, ce qui nous empêche de les mettre en relation avec des zones de Karnak en particulier.
Le dossier de la réutilisation et de la transformation des statues à l’époque ramesside mérite d’être rouvert et approfondi : quels sont les critères qui ont poussé au choix de certaines statues en particulier et qui en ont fait rejeter d’autres ? L’identité du souverain originellement représenté ? La forme de la statue, plus ou moins aisée à transformer et pouvant servir à une nouvelle fonction ? Sa position au sein d’un temple ? Son accessibilité ? Peut-être un peu tout cela et également une part de hasard, au gré des constructions de Ramsès II et de Mérenptah et de leurs programmes statuaires.
Le pied de Mérenptah
Cat. 1382, base d’une statue au nom de Mérenptah, originellement effigie de Thoutmosis IV ou Amenhotep III
Le thème du réemploi des statues nous mène à la seconde pièce qui fait l’objet de cette étude (Fig. 10).
L’inscription, profondément mais peu soigneusement sculptée, identique sur les deux côtés de la base, présente la titulature du roi Mérenptah :
« Le roi de Haute et de Basse-Égypte, le seigneur des Deux Terres, Meryamon Baenrê, le fils de Rê, le seigneur des diadèmes Mér[enptah…] »
L’aspect hâtif et peu soigné des hiéroglyphes contraste fortement avec la qualité de la sculpture et du polissage du pied, suggérant une inscription secondaire, ajoutée sur une statue déjà existante. Des traces de modification du piédestal sont visibles sur
Tous ces signes constituent des arguments en faveur d’une modification de la statue dans un but de réutilisation, selon une pratique courante à l’époque ramesside – particulièrement au cours du règne de Mérenptah.
Divers indices s’offrent à nous pour tenter d’identifier le personnage originellement représenté. Le matériau constitue une première source : la pièce est sculptée dans une variété de quartzite pourpre, presque violacé, attestée surtout dans le répertoire royal du milieu de la XVIIIe dynastie (de Thoutmosis III à Akhénaton). Dans une pierre de cette couleur, on citera deux statues de Thoutmosis III (la statuette agenouillée du Caire CG 4205916 et le petit sphinx de Turin S. 267317), un sphinx d’Amenhotep II dont la tête est conservée au musée du Louvre (Paris E 1089618), trois statuettes agenouillées du même souverain retrouvées au Soudan (Khartoum SNM 30, Berlin ÄM 2056 et 205719), la statue d’Amenhotep III représenté debout sur un traîneau (musée de Louqsor J. 83820 ), ainsi que de nombreux fragments de statues de l’époque amarnienne21. Le rapprochement stylistique avec la statue d’Amenhotep III de Louqsor (Fig. 13) est particulièrement notable : outre la similitude de la pierre, l’on observe le même traitement naturaliste des volumes du pied, avec ses courbes et contre-courbes, l’aspect charnu des orteils, ainsi que la surface au poli très soigné.
Le type statuaire, ensuite, peu courant, permet de chercher des parallèles dans le répertoire conservé. Contre le pied gauche avancé, est visible la partie inférieure de la hampe tubulaire d’un bâton d’enseigne ou d’un support de table d’offrandes. Plusieurs dizaines d’exemplaires en pierre de statues porte-enseigne, royales et non royales, sont attestées jusqu’à présent, la plupart de l’époque ramesside22. Presque toutes les statues conservées présentent le bâton d’enseigne placé le long du bras et reposant contre l’épaule23, tandis que, sur la statue de Turin, l’objet
Le quartzite dans lequel cette statue a été sculptée est plus orangé que celui du fragment turinois et sa surface est moins polie. Néanmoins, le rapprochement typologique et surtout la similarité des dimensions parlent en faveur d’une proche datation.
Turin Cat. 1382
Le Caire JE 43611 (Thoutmosis IV)25
Largeur de la base
58 cm
57,5 cm
Hauteur de la base
24 cm
22 cm
Longueur du pied gauche
38 cm
40 cm
Longueur du 2e orteil
8,3 cm
8 cm
Longueur de la sandale gauche
Effacée ? ou jamais sculptée ?
46 cm
Malgré les quelques différences entre les deux pièces (couleur de la veine de quartzite, degré de polissage, absence de la semelle de la sandale sur la base de Turin – peut-être un oubli de la part du sculpteur ?), l’on peut donc proposer qu’elles aient fait partie d’une paire ou au moins d’une même série : elles sont apparemment de même provenance (Karnak), de mêmes hauteur et largeur pour le piédestal, et appartiennent à une même forme rare du type statuaire porte-enseigne. Les inscriptions semblent avoir également suivi la même disposition, d’après les traces encore visibles sur la pièce turinoise : deux colonnes devant le pied droit et une série de lignes sur la partie antérieure de la base – probablement à l’origine quatre, comme sur la statue du Caire, avant d’avoir été rabotée d’une trentaine de centimètres (Fig. 15).
La longue inscription présente sur la statue de Thoutmosis IV consiste simplement en l’énumération des cinq noms de sa titulature ; il se peut que la surface consacrée à ces lignes n’ait plus été jugée nécessaire pour le nouvel usage de la statue et que, devenue inutile, il était plus simple de scier l’extrémité de la base que d’en effacer l’inscription par un fastidieux polissage.
Les premiers signes hiéroglyphiques de la titulature de Mérenptah, sur chacun des deux côtés de la base, commencent bien au niveau de l’angle formé avec la face avant de la base, ce qui suggère que la retaille de la partie frontale date précisément de la réutilisation par le souverain ramesside. La raison de ce rabotage pourrait aussi être un déplacement de la statue pour un nouveau lieu, où la base, prenant trop d’espace, a dû être raccourcie ; l’on pourrait aussi suggérer que la base, longue et étroite, ait été abîmée dans sa partie la plus fragile et qu’en scier la partie avant ait eu plus de sens que de la réparer avec un système de tenons. L’absence de contexte archéologique précis, pour le
L’on peut enfin se demander pourquoi la statue de Thoutmosis IV du musée du Caire est restée intouchée, tandis que celle du Museo Egizio a subi un réemploi et l’effacement de son inscription originelle, alors que leurs dimensions, typologie et matériau portent à croire qu’elles ont bien fait partie d’un même ensemble. En l’absence de contexte archéologique, il est difficile de savoir si ces statues formaient précisément une paire, peut-être de part et d’autre d’un passage. Il est possible qu’après la modification de l’une d’entre elles au profit de Mérenptah, elles aient été séparées pour être réinstallées en deux endroits distincts de Karnak. Peut-être aussi, comme l’on a pu le suggérer dans le cas précédent, le souverain ramesside a-t-il voulu, tout en faisant l’économie d’une nouvelle statue monumentale en quartzite, réutiliser un beau monument séculaire afin de se réincarner dans le corps de son prédécesseur, tout en s’associant à lui, toujours présent grâce à la seconde statue.
Le nez d’Amenhotep
Cat. 3148, fragment de visage d’une statue colossale d’Amenhotep III
La dernière pièce qui retiendra notre attention, jusqu’ici seulement citée dans le catalogue de 1852 d’Orcurti, est celle qui représente le plus petit défi et il s’agit avant tout ici de mettre en lumière un beau fragment méconnu sorti des réserves du musée. Elle consiste en un morceau de visage de grande dimension : un nez parfaitement conservé et une bouche dont ne manquent que les commissures (Fig. 17-18).
L’on attribuera sans difficulté ce très beau morceau à une représentation d’Amenhotep III. Tout d’abord,
L’objet est entré dans les collections turinoises lors de l’acquisition des antiquités de Drovetti, en 1824. Aucune indication n’est enregistrée à propos de sa provenance. Les dimensions de la sculpture – cinq à six fois plus grande que nature – et la similitude stylistique avec les colosses d’Amenhotep III de Karnak et de Kôm el-Hettan (Fig. 19) permettent de suggérer la région thébaine, dont provient une très grande part des antiquités collectées par Drovetti.
Il est en revanche difficile de savoir si la pièce a été trouvée
Conclusions
Ces quelques pages destinées à la nouvelle revue scientifique du Museo Egizio ont pour dessein de porter trois pièces fragmentaires méconnues des collections turinoises à l’attention du lecteur. La mise en ligne de ce périodique permet de se libérer des contraintes du papier et d’inclure une série de photographies en haute résolution, qui offre la possibilité de suivre au mieux l’argumentation.
Ainsi qu’on a pu le voir, l’étude de fragments, loin de constituer seulement un jeu d’attribution à un individu, ce qui pourrait s’avérer quelque peu anecdotique, permet de mettre en lumière une phase de l’histoire qui entourait le monument auquel ces fragments appartenaient. Elle éclaire notre compréhension du corpus d’un souverain, de l’activité constructrice des
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Notes
- Je souhaite adresser ma plus vive gratitude à Pino et Nicola Dell’Aquila pour le patient travail de photographie réalisé dans le cadre de ces recherches sur les statues du musée de Turin. Les heures passées avec eux lors séances de prises de vue m’ont permis d’observer au mieux, sous divers éclairages, les statues dont il est question dans cet article. Mes remerciements vont également à Federico Poole et à mes relecteurs pour leurs précieux conseils.↑
- Evers, <i>Staat aus des Stein</i>, I, p. 40, § 283 ; Laboury, <i>La statuaire de Thoutmosis III</i>, p. 427 ; Laboury, <i>RdÉ</i> 51 (2000), p. 88-90. Généralement, ce type de figure royale est représenté ou à côté de la divinité qui lui confère le signe <i>ânkh</i>, ou devant une statue divine beaucoup plus grande, comme si elle était placée sous sa protection, tout en lui manifestant sa dévotion. Ex : Le Caire JE 38574 (Amenhotep II devant Hathor), Le Caire JE 39394 (Amenhotep II devant Meretseger), Vienne ÄS 5782 (Amenhotep II (?) devant un babouin (Thot ?)), Louqsor J. 137 (Amenhotep III à côté de Sobek), Paris E 11609 (Toutânkhamon devant Amon), Le Caire JE 39210 (Séthy I<sup>er</sup> devant Amon et Mout), New York MMA 90.6.1 (souverain ramesside devant une divinité anthropomorphe).↑
- Miller, <i>JEA</i> 25 (1939), p. 1-7.↑
- Les lèvres charnues, les joues pleines et l’ovale du visage de cette dernière trahissent une origine post-amarnienne, mais le regard orienté vers le bas et l’accentuation de la commissure des lèvres indiquent une transformation de la statue à l’époque ramesside ; bien que la surface des orbites n’ait pas été sculptée ni polie, la tête héliopolitaine conserve des traces de peinture noire indiquant le contour des yeux, soit originellement lignes-guides pour aider le sculpteur à positionner les yeux, soit peut-être même substituts peints des yeux, à défaut de paupières sculptées (Fig. 3).↑
- PM III<sup>2</sup>, p. 835 ; Minas, dans : Eldamaty et Trad (éd.), <i>Egyptian Museum Collections</i>, p. 812, pl. 1.↑
- Barbotin, <i>Les statues égyptiennes</i>, p. 86-90.↑
- Dans le cas de Ramsès II, on citera les sphinx à crinière attribuables à Amenemhat III pour des raisons stylistiques (Le Caire CG 393, 394, 530, 1243), les deux colosses assis de Marmesha (Le Caire JE 37466 et 37467, lesquels conservent d’ailleurs encore leurs inscriptions originelles, Ramsès II se contenant d’ajouter sa titulature sur la base et le dossier du trône), les deux statues osiriaques de Thoutmosis III contre la façade nord du VII<sup>e</sup> pylône à Karnak, la statue du British Museum EA 61, citée précédemment, probablement à l’origine une statue de Thoutmosis III ou d’Amenhotep II, ainsi que la dyade d’Amenhotep III et du dieu Sobek (Louqsor J. 155). En ce qui concerne Mérenptah, on relèvera, outre les sphinx à crinière et la statue du British Museum EA 61, sur lesquelles il se contente d’ajouter son nom à celui de son père, la statue assise d’Amenemhat I<sup>er</sup> (Le Caire JE 37470, dont il laisse également l’inscription originelle) et les statues osiriaques de Montouhotep III d’Ermant (Sourouzian, <i>Mérenptah</i>, p. 189, n° 118). Les statues réinscrites par Ramsès II ou Mérenptah et montrant d’évidentes traces de retouche des traits du visage se comptent en revanche par dizaines.↑
- Sur le thème de la réutilisation, par les souverains ramessides, de statues sur lesquelles l’on observe des retouches dans la physionomie, voir notamment à ce propos les études de Sourouzian, <i>MDAIK</i> 44 (1988), p. 229-254 ; Sourouzian, <i>Cahiers de Karnak</i> 10 (1995), p. 505-543 ; Hill, dans : Oppenheim <i>et al.</i> (éd.), <i>Ancient Egypt Transformed : The Middle Kingdom</i>, p. 294-299 ; Eaton-Krauss, dans : Jasnow et Cooney (éd.), <i>Joyful in Thebes</i>, p. 97-104.↑
- À propos de la forme de l’uræus, cf. Evers, <i>Staat</i>, I, p. 26-29, § 164-189 ; en ce qui concerne la forme du pagne, Id., II, p. 40, § 283-285.↑
- Vandersleyen, dans : <i>Acts of the First International Congress of Egyptology</i>, p. 665-669 ; Sourouzian, <i>JARCE</i> 28 (1991), p. 65.↑
- Tefnin, <i>La statuaire d’Hatshepsout</i>, p. 98-101.↑
- Naville, <i>The XIth Dynasty Temple</i>, p. 57.↑
- Schoske et Wildung, <i>Das Münchner Buch</i>, p. 92-93.↑
- Evers, <i>Staat</i>, I, p. 27, § 74, pl. I, fig. 3 ; Connor, <i>BIFAO</i> 115 (2015), p. 85-109.↑
- Au sujet de la statuaire d’Amenhotep II, voir notamment Müller, dans : <i>Münchner Jahrbuch der bildenden Kunst</i> (3e série) 3/4 (1953), p. 67-84 ; Bothmer, <i>BMFA</i> 52 (1954), p. 11-20 ; Krauspe, dans Endesfelder <i>et al.</i> (éd.), <i>Ägypten und Kusch</i>, p. 257-264 ; Sourouzian, <i>JARCE</i> 28 (1991), p. 55-74.↑
- Laboury, <i>Thoutmosis III</i> ; n° C 68, p. 230.↑
- Id., n° C 111, p. 290-291.↑
- Barbotin, <i>Les statues égyptiennes</i>, p. 41-42.↑
- Vercoutter, <i>Kush</i> 5 (1957), p. 5-7.↑
- El-Saghir, <i>La découverte de la cachette</i>, p. 21-27.↑
- Parmi de très nombreuses pièces, voir par exemple les figures de reines ou de princesses du Louvre E 25409, de New York MMA 11.150.26 ou du Caire JE 44869 et 44870 (Arnold <i>et al., The Royal Women of Amarna</i>, p. 28-29, fig. 21-22 ; p. 50-52, fig. 42, 44 ; p. 58-61, fig. 50-51).↑
- Il n’est pas impossible, toutefois, que cette forme statuaire ait été plus fréquente en bois, puisque plusieurs exemplaires en sont connus en statuaire non royale (voir Chadefaud, <i>Les statues porte-enseigne</i>).↑
- Les statues royales de l’époque ramesside qui sont munies d’une seule hampe, montrent toujours celle-ci à gauche du personnage (Satzinger, <i>Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen in Wien</i> 77 [1981], n° A10 à A36 ; Sourouzian, <i>Mérenptah</i>, p. 88-91) ; le bâton d’enseigne tenu devant le roi est attesté seulement pour la statue de Thoutmosis IV (Le Caire JE 43611), la base de Turin Cat. 1382 et une statuette au nom d’Amenhotep III, découverte dans le temple de Louqsor (Muhammad, <i>ASAE</i> 60 [1960], p. 278 ; pl. 87.).↑
- H. 280 cm ; l. 57,5 cm ; P. 136 cm. PM II2, p. 84 ; Maspero, <i>Guide du visiteur au Musée du Caire</i>, Le Caire, p. 182 ; Hornemann, <i>Types</i>, pl. 269 ; Bryan, <i>Thutmose IV</i>, p. 233-234, n. 161-164 ; Bryan, <i>JARCE</i> 24 (1987), p. 13-20.↑
- J’adresse ici mes remerciements à Eid Mertah, restaurateur au Musée égyptien du Caire, pour sa précieuse disponibilité lors de la prise des mesures de cette statue.↑
- Sur les statues porte-enseigne, voir commentaire de H. Sourouzian (<i>Mérenptah</i>, p. 88-91). La position de ces statues semble avoir été liée aux axes de procession : devant les pylônes (comme au temple de Ouadi es-Seboua), dans la salle hypostyle (voir les statues de Séthy II, de part et d’autre de l’axe processionnel de Karnak) ou encore devant la chapelle-reposoir de la barque (Séthy II). L’enseigne manifeste la protection du dieu sur la personne qui le tient, dans ce cas sur le souverain qui agit en tant que ritualiste.↑
- Voir notamment les contributions de la publication du colloque consacré à l’art d’Amenhotep III (Berman (éd.), <i>The Art of Amenhotep III</i>), ainsi que les chapitres abondamment illustrés, consacrés à « La statuaire divine et royale », à « La petite statuaire royale », ainsi qu’à « La statuaire privée », dans le catalogue de l’exposition organisée à Cleveland, à Fort Worth et à Paris en 1992-1993 (Kozloff <i>et al., Amenhotep III and His World</i>, p. 98-225).↑
- Musée de Louqsor J. 133 (Romano <i>et al., The Luxor Museum</i>, n° 126, p. 96-97, fig. 73-74 ; p. 87, pl. 10), Louvre A 18 (Barbotin, <i>Les statues égyptiennes</i>, p. 50-51) ou encore les fragments retrouvés lors des récentes fouilles à Kôm el-Hettan (voir notamment Sourouzian <i>et al., ASAE</i> 80 (2006), p. 404, ill. couverture et pl. 2-4).↑
- Kozloff <i>et al., Amenhotep III and his World</i>, p. 143-144. Cette tête colossale présente la même surface lustrée et porte encore des traits d’Amenhotep III, mais le visage a été en partie modifié lors de la « ramessisation » du colosse : la pointe du nez a été rabotée pour le rendre plus camus et les commissures des lèvres retravaillées pour donner à la bouche le sourire figé aux lèvres pleines de Ramsès II.↑
- Cincotti, <i>Cahiers de Karnak</i> 14 (2013), p. 279-285.↑